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Le ministère public, représenté par le procureur de la République, est le gardien de la loi pénale et le défenseur de l’intérêt général. Son rôle est de veiller à l’application de la loi et de diriger l’action publique, c’est-à-dire de poursuivre les auteurs d’infractions au nom de la société tout entière.

Mais dans l’exercice de cette mission, une question peut parfois se poser : le procureur doit-il toujours attendre d’être saisi pour agir, ou peut-il intervenir de lui-même lorsqu’une infraction est portée à sa connaissance ? Cette interrogation renvoie à l’expression d’ « autosaisine », c’est-à-dire la faculté pour le ministère public de mettre en mouvement l’action publique sans qu’une plainte ou une dénonciation ne lui soit adressée.

Même si le mot « autosaisine » n’apparaît pas expressément dans le Code de procédure pénale gabonais issu de la loi n°043/2018 du 5 juillet 2019, plusieurs dispositions permettent de comprendre qu’il dispose du pouvoir d’agir de sa propre initiative dès qu’il apprend qu’une infraction a pu être commise, même en l’absence de plainte d’une victime directe. Ce que l’on appelle communément « autosaisine » n’est donc pas un pouvoir exceptionnel, mais la conséquence logique du rôle actif que la loi confie au parquet dans la protection de l’ordre public.

Il ne s’agit pas ici de revenir sur toutes les missions du parquet, mais de s’arrêter sur un aspect souvent discuté de son rôle : sa capacité à agir de lui-même, sans qu’une plainte ou dénonciation préalable ne lui soit adressée.

La loi donne-t-elle vraiment ce pouvoir au procureur ?

Pour comprendre exactement si la loi gabonaise autorise le procureur de la République à mettre en mouvement, de lui-même, l’action publique, il est nécessaire d’analyser un certain nombre de textes.

Mais d’abord, que faut-il entendre par action publique ? En droit pénal, l’action publique désigne le pouvoir reconnu au ministère public de poursuivre les auteurs d’infractions au nom de la société, afin d’obtenir leur condamnation devant les juridictions compétentes. Autrement dit, elle permet à l’État, par l’intermédiaire du parquet, de déclencher et de conduire la procédure pénale dès lors qu’une infraction est commise. Cette action se distingue de l’action civile, qui vise à obtenir réparation du dommage personnel causé par l’infraction.

Pour revenir au Code de procédure pénale, l’article 37  dispose : « Le procureur de la République représente, en personne ou par ses adjoints et substituts, le ministère public dans toutes les formations du tribunal. » Cela signifie que le procureur n’est pas seulement un récepteur de plaintes : il est un acteur du système judiciaire, chargé de veiller à l’application de la loi et d’intervenir chaque fois que l’ordre public est menacé.

Deuxièmement, l’article 38 du même Code ajoute que : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ». Cette disposition est capitale, en précisant qu’il « apprécie la suite à leur donner », le législateur reconnaît au parquet un pouvoir d’appréciation, autrement dit la liberté de décider de l’opportunité des poursuites.

Autrement dit, il peut choisir d’engager des poursuites, d’ouvrir une enquête ou de classer une affaire sans suite, selon la gravité des faits et leur impact sur l’ordre public.

Enfin, l’article 40 précise que : « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » Pris ensemble, ces trois articles (37, 38 et 40) donnent au ministère public les moyens juridiques d’agir de sa propre initiative dès lors que des faits paraissent constituer une infraction et menacent la paix sociale.

Cette série de dispositions légales démontre clairement que le procureur n’a pas besoin d’attendre qu’on l’appelle pour agir. Mais, comprendre qu’il  « peut » agir ne suffit pas encore à saisir « comment » et dans « quelles limites »  il le fait. C’est là qu’entre en jeu une notion essentielle : celle du pouvoir discrétionnaire, qui éclaire en pratique ce qu’on appelle communément « autosaisine ».

Jusqu’où va la liberté d’action du procureur ?

Le pouvoir discrétionnaire du procureur est au cœur de la compréhension de l’autosaisine. Il lui permet d’apprécier librement les situations et de décider s’il y a lieu d’engager des poursuites, d’ordonner une enquête, ou au contraire de classer une affaire sans suite. C’est ce que la doctrine appelle le principe de l’opportunité des poursuites.

Ainsi, le ministère public n’agit pas sur ordre d’une victime, mais en fonction de l’intérêt général. Il évalue chaque situation selon la gravité des faits, leur impact social et leur importance pour la cohésion nationale.

Concrètement, cela signifie que le procureur peut être informé d’une infraction de différentes manières : par un rapport de police ou d’administration, par un article de presse ou un reportage, par les réseaux sociaux, ou même par ses propres constatations lors d’un déplacement ou d’une audience. Dès lors que les informations recueillies sont sérieuses, il « peut » ordonner des vérifications ou ouvrir une enquête, sans qu’une plainte n’ait été déposée.

Mais cela ne signifie pas pour autant que le procureur se mêle de tout. Son action reste encadrée par la loi : il ne peut agir que sur la base d’éléments crédibles laissant penser qu’une infraction a été commise. L’autosaisine ne doit donc pas devenir un abus, mais un instrument de vigilance au service de la société.

Quand la justice se met en marche pour la société

Le véritable sens de l’autosaisine se révèle lorsqu’il s’agit de protéger l’ordre public et la cohésion sociale. Le procureur peut initier une enquête sans plainte, notamment lorsque des faits graves restent cachés par peur ou intimidation.

Par exemple, si dans une ville du Gabon, des actes de persécution ou de violence contre des étrangers sont commis publiquement, mais qu’aucune victime n’ose déposer plainte par peur de représailles, le procureur peut s’autosaisir. Il ordonnera à la police judiciaire de procéder aux vérifications nécessaires, de recueillir les témoignages et d’identifier les auteurs (hypothèse de l’article 40 CPP, recherche et poursuite des infractions).

De même, lorsqu’un rapport de police ou d’administration signale des infractions potentielles (articles 38 et 40 CPP), ou qu’un article de presse ou un reportage médiatique met en lumière des faits graves (hypothèse d’information indirecte), le procureur peut ordonner des vérifications et ouvrir une enquête. Il en va de même avec des informations provenant des réseaux sociaux (veille sur l’opinion publique ou signalement de faits publics), ou ses propres constatations lors d’un déplacement ou d’une audience (observation directe de faits susceptibles de constituer une infraction).

Dès lors que les informations recueillies sont crédibles et sérieuses, le procureur peut agir pour protéger l’intérêt général, même en l’absence de plainte formelle.

Ce que la loi permet… et ce qu’elle encadre

Cependant, si cette faculté d’agir d’office confère au parquet une grande souplesse, elle ne signifie pas pour autant que son pouvoir est illimité. L’autosaisine, telle qu’elle se déduit des textes, doit s’exercer dans un cadre strictement légal. Car dans un État de droit, la liberté d’action du procureur s’accompagne nécessairement de garde-fous destinés à prévenir tout risque d’arbitraire ou d’abus d’autorité. C’est pourquoi il importe d’examiner les limites et les contrôles qui encadrent cette prérogative, afin de mieux comprendre comment la loi concilie l’efficacité de l’action publique avec la protection des droits individuels.

D’abord, le principe de légalité impose au ministère public de respecter scrupuleusement les règles de procédure et les garanties reconnues aux citoyens, quelle que soit la gravité des faits en cause. En second lieu, le contrôle hiérarchique, prévu par l’article 35 du Code de procédure pénale, rappelle que le procureur agit sous l’autorité du ministre de la Justice. Celui-ci peut lui adresser des instructions générales de politique pénale, et dans certains cas, orienter l’action du parquet en fonction des priorités nationales fixées par le Gouvernement.

En somme, ces mécanismes ne visent pas à restreindre l’action du parquet, mais à garantir qu’elle s’exerce dans le respect de la loi et sous le contrôle de l’autorité compétente. Ils rappellent que le procureur, bien qu’indépendant dans l’appréciation des faits, demeure lié à un cadre hiérarchique et procédural précis.

En définitive, un pouvoir au service de la justice

Il y a eu, ces derniers temps, des débats sur la nécessité pour le parquet de s’autosaisir à la suite de faits de violences et de haine à l’égard des étrangers au Gabon, dont certaines personnes avaient pourtant été clairement identifiées. De même, certains se sont interrogés sur l’opportunité pour le ministère public de se saisir de faits survenus lors des récents événements électoraux, au cours desquels des troubles ont été constatés et là encore, des auteurs présumés identifiables.

Il était donc important de revenir sur les moyens que la loi met à sa disposition pour initier l’action publique, mais aussi de rappeler que ce pouvoir ne s’exerce pas en dehors de tout contrôle.

En effet, le procureur de la République dispose d’une réelle latitude d’action, mais celle-ci demeure encadrée par la loi et soumise à une hiérarchie. L’autosaisine n’est donc pas un acte d’indépendance absolue, mais un mécanisme de vigilance et de responsabilité, permettant au ministère public de défendre la société tout en respectant les principes de légalité et d’équilibre institutionnel.

  1. Cour d'Appel Administrative de Monaco, 27 octobre 1969, Trésorier Général des Finances c/ C.
  2. Tribunal des Conflits, Arrêt du 25 mars 1996, n°03000, publié au recueil Lebon
  3. Nikolas Kada, Dictionnaire d’Administration Publique, Collection Droit et action publique, Edition Presse Universitaire de Grenoble, 2014, P.31-32
  4. La loi n°5/78 du 1er juin 1978 portant adoption du Code du Travail de la République Gabonaise a prévu en ses articles 44 et 45 la création d’une indemnité de services rendus, accordée à tout travailleur licencié pour motif autre que la faute lourde, ou allant à la retraite. Cette indemnité est due en cas de licenciement ou de départ à la retraite, après une ancienneté de deux ans dans l’entreprise
  5. les articles 71 et 88 des Codes du Travail des années 1994 et 2021
  6. Les agents publics non-statutaires de droit public sont des agents recrutés par l’État Gabonais par contrat d’engament de travail et qui sont soumis à un régime de droit public dont la compétence relève du juge administratif (article 2 de la loi n°3/88 du 31 juillet 1990 susvisée)
  7. Les agents publics non-statutaires de droit privé sont des agents recrutés par l’État Gabonais par contrat de travail (lettre d’engagement ou décision ministérielle) et qui sont soumis à un régime de droit privé dont la compétence relève du juge judiciaire
  8. V. Article 193 du Statut Général de la Fonction Publique
  9. Tribunal des conflits, Arrêt du 25 mars 1996, n°03000, publié au recueil Lebon
  10. Tribunal Administratif de Makokou, Jugement du 25 novembre 2020
  11. Guide de l’agent public, service de l’analyse des médias, n°4, Octobre 2022
  12. Les emplois subalternes sont des emplois de rang peu élevé dans la hiérarchie professionnelle de l’Administration. C’est en particulier le cas des femmes de ménage, ouvriers, jardiniers, chauffeurs etc...
  13. Anthony BEM, le temps pour agir en justice, la forclusion et la prescription de l’action, LEGAVOX.fr, 7 avril2016
  14. Anthony BEM, Op.Cit., p.5
  15. Cette prescription peut être interrompue lorsque l’agent public a saisi l’administration ou initié une action en justice avant l’expiration du délai de quatre (4) ans. Dans l’un ou l’autre cas, un nouveau délai recommence à courir à compter de la date de la saisine
  16. Article 88 du Code Travail 2021 pour les agents de la main d’œuvre non permanente qui sont régis par les dispositions dudit Code
  17. L’article 149 de l’ordonnance n°0003/PR/2024 du 08 février 2024 dispose que « sous réserve des dispositions de prévues par différents statuts particuliers, l’âge limite de mise à la retraite est fixé à soixante-deux ans pour les agents civils de l’État »
  18. Conseil d’État, affaire MOUGHETOU Marie Adèle, arrêt du 04 janvier 2023, ré n° 86/2022-2023 ; V. aussi, Conseil d’État, affaire Dame ENGOUANG BEKALE Jeannette, arrêt du 17 mars 2023, rép. n°013B/2022-2023
  19. CE, affaire MBOUROU Jean Hubert, arrêt du 17 décembre 2010
  20. CE, affaire EKIEMA-EVOUNG Michel, arrêt du 09 décembre 2020 ; V. aussi, CE, affaire MOUNDOUNGA KOMBILA Philippe, arrêt du 09 décembre 2020
  21. CE, affaire DIMB Olivier, arrêt du 12 Juillet 2024, rep n° 112/2023-2024 ; V. aussi, CE, affaire MANINGAUT MOGOULA Viviane, arrêt du 12 juillet 2024, rep n°23/2023-2024
  22. CE, affaire MBA Christian, arrêt du 22 janvier 2025, rep n°003/2024-2025
  23. René CHAPUS, Droit administratif général, Tome 1, 15e édition, Montchrestien, 2001, p. 1294
  24. CE, Arrêt du 12 février 2020, Rep n°107/2019-2020
  25. CE, affaire DIAMBOU Marie-Thérèse, rep 009/2023-2025, 11 décembre 2024

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