lundi , 2 juin 2025
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La Fonction Publique gabonaise et le principe d’égalité sous la Ve République

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La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen dans son article 6 dispose que « tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Ce principe à valeur universelle se veut être cardinal quant à la possibilité d’accéder aux emplois publics et donc à la fonction publique en obligeant les gouvernants à sélectionner les gouvernés candidats sur la seule base de leurs talents et vertus.

L’égalité d’accès à la fonction s’oppose à toute forme de discrimination surtout si celle-ci ne présente aucune forme d’objectivité. En effet, tous les hommes naissant libres et égaux en droit, l’accès aux emplois publics ne peut être réservé à une certaine catégorie de citoyens du fait de leurs origines, croyances ou appartenances. L’accès à la fonction publique est ainsi basé sur l’égalité des chances entre citoyens et la méritocratie.

Ici, nous entendons par citoyen, un individu pouvant justifier d’une nationalité bien précise et qui peut légalement revendiquer des droits tout en étant soumis à des obligations. Ainsi, ils doivent tous être soumis aux mêmes obligations et conditions pour espérer accéder à ces emplois publics.

Par emplois publics, il faut entendre fonction publique au sens large, c’est-à-dire l’ensemble du personnel de l’administration dans sa mission de servir l’intérêt général. Selon les assertions plus haut évoquées, il s’agit du droit garanti à tous citoyens, d’avoir accès aux différentes composantes de la fonction publique. C’est-à-dire, la fonction publique d’Etat, Territoriale ou Parlementaire.

Cet accès ne doit être conditionné que par leur seule aptitude physique et intellectuelle, leur moralité et les valeurs qu’ils partagent. Toute discrimination basée sur des éléments autres est purement et simplement proscrite.

Il faut souligner que ce sacro-saint principe d’égalité sous-entend l’égalité de traitement de tous devant la Loi et l’égalité d’accès aux emplois publics.

Il est ici question d’une proclamation d’une égalité formelle et une affirmation qui permet, pour assurer cette égalité, que la Loi soit la même pour tous. Cette argumentation revient à mettre en avant la neutralité de la règle de droit et à faire obstacle à toute rupture d’égalité de traitement des citoyens lors de l’accès aux places et emplois publics.

Au Gabon, si ce principe est reconnu et encadré par les textes en vigueur, il n’est cependant pas la pratique la plus répandue en ce qui concerne l’accès aux places et emplois publics au vue de nombreuses contestations qui font souvent suite à l’organisation des concours et aux nombreuses dérogations telles que le recrutement sur titre ou le tour extérieur.

Aussi, il faut souligner que les évènements du 30 aout avaient suscité beaucoup d’espoir auprès de la population qui avait connu un gel des recrutements, examens et concours, titularisations, avancements et reclassements après stage dans la fonction publique suite à l’arrêté N° 0390/PM/MFPMSPRE du 20/08/2018 pris par le gouvernement déchu et qui a largement dépassé le délai de trois ans initialement fixé. Le dégel des recrutements, titularisations, avancements, stages et reclassements décidé sous l’impulsion du Président de la République, son Excellence, Brice Clotaire Oligui Nguema et confirmé par l’arrêté N° 00009/PM/MFPRC du 24 novembre 2023, n’a pas mis fin aux suspicions d’inégalité d’accès à la fonction publique.

Au-delà du débat purement juridique, la mise en place des concours si elle garantit l’égalité entre les citoyens, elle permet aussi à l’administration de se doter d’agents avec des qualités avérées et qui sont en capacité de permettre l’existence d’une fonction publique compétitive et efficace.

Depuis le gel du recrutement à la fonction publique, cette dernière s’est vue dépourvue d’agents compétents, bien formés avec impossibilité de renouveler les effectifs. Cela a eu une conséquence évidente sur le rendement du secteur public avec l’impossibilité de remplacer les agents admis à la retraite et l’impossibilité pour certains d’entre eux de voir leur carrière évoluer comme cela se devrait.

Si le corpus juridique gabonais a connu un chamboulement du fait de la récente tournure politique que le pays a connu, le Gabon reste tout de même soumis à ses engagements internationaux qui le contraignent à respecter un certain nombre de normes internationales (I). Si nous pouvons évoquer une atténuation du principe sous la Ve République (II), cela ne justifierait pas que le pays puisse se doter d’une nouvelle législation sur le plan interne qui s’opposerait à ses engagements internationaux.

I-         Une soumission au principe d’égalité, principe à valeur “universelle“

Le Gabon en dépit d’être une jeune nation qui balbutiait encore la démocratie dans les années 1990, a pris un certain nombre d’engagement sur le plan international. Et sans vouloir d’une quelconque manière soulever l’éternelle querelle opposant les constitutionnalistes aux internationalistes, les normes internationales auxquelles le Gabon a souscrit s’imposent aux normes nationales. Ces normes pour certaines d’entre elles, enrichissent le droit de la Fonction Publique et sont garantes des droits et libertés des citoyens en matière d’accès aux emplois publics.

Les pactes des nations unies

Certaines conventions internationales posent des principes généraux applicables aux salariés des entreprises privées mais également aux agents publics. Parmi ces conventions internationales, on peut citer les pactes des nations-unies tels que le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 et ratifié par le Gabon en 1983. Ce pacte indique que les droits économiques, sociaux et politiques incluent entre autres le droit à une alimentation adéquate, à un logement convenable, à l’éducation, à la santé, à la sécurité sociale, à la participation à la vie culturelle, à l’eau et à l’assainissement, et au travail sans distinction ni discrimination aucune.

Il évoque un certain nombre de droit et souligne la nécessité de la prise en compte de tous les citoyens et le respect stricte du principe d’égalité.

La convention sur les droits politiques de la femme

On peut citer également la convention sur les droits politiques de la femme de 1954 ratifiée par le Gabon qui confère aux hommes et aux femmes l’égalité dans la jouissance et l’exercice des droits politiques en reconnaissant à toute personne le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par des représentants choisis librement. C’est à ce titre qu’il a ratifié la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes le 22 juillet 1982, laquelle est entrée en application le 21 janvier 1983. Après cette mesure, le Gabon a pris un certain nombre de mesures pour concrétiser l’application de la CEDEF.

Ces textes posent différents principes applicables à la fonction publique tant en matière d’égalité des sexes, qu’en matière de liberté syndicale et de discrimination à l’entrée dans la fonction publique. Discrimination qui serait fondée non pas sur les qualités intrinsèques du candidat mais sur le sexe, sur les opinions politiques, sur la race et les religions.

La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples

Du point de vue communautaire, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples constitue au niveau régional africain, le texte de référence. Plusieurs de ses dispositions traitent du droit de la fonction publique. S’agissant du principe d’égalité, l’article 3 alinéa 1 dispose que : « toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la Loi ». Dans le même ordre d’idée, en son article 13 dans ses alinéas 2 et 3, il renvoie clairement au principe d’égalité.

L’alinéa 2 dispose qu’il est garanti à tous les citoyens l’égalité d’accès à la fonction publique. Tandis que dans son alinéa 3, il reconnait le droit de toute personne à user des biens et services dans la stricte égalité de tous devant la Loi.

Si le Gabon a, sur le plan des conventions internationales, des normes qui garantissent à tout citoyen l’égalité d’accès à la Fonction Publique, nous notons une régression de la protection de ce principe sur le plan interne.

II-        Principe atténué par le droit interne sous la Ve République

Sous l’ère de la Transition, le Gabon s’est doté d’une nouvelle Constitution à l’issue du Référendum du 16 novembre 2024. Cette nouvelle Constitution a marqué l’entrée du pays sous l’ère de la Ve République et a apporté plusieurs nouveautés et modifications quant à la réorganisation des Institutions.

Ces nombreuses modifications ont clairement un impact indéniable sur le droit de la fonction publique et apportent une certaine atténuation de la garantie du principe d’égal accès à la Fonction publique.

L’impossibilité d’invoquer la DDHC du fait de sa disparition dans le bloc de constitutionnalité

Sous l’empire de la Constitution de 1991, il était fait mention de l’attachement du Gabon aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales tels qu’ils résultent de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ce texte qui a pendant longtemps fait partie de notre corpus juridique a disparu du bloc de constitutionnalité. Il ne peut donc plus être invoqué devant le juge son article 6 qui garantit l’égalité d’accès, et article duquel découle le principe de concours comme voie principale d’entrée dans la fonction publique.

N’étant plus pris en compte dans le bloc de constitutionnalité de la Ve République, nous perdons une garantie supplémentaire en ce qui est de la protection d’un principe central de la Fonction publique. En effet, si sous la Constitution de 1991 il était expressément fait mention de la DDHC, la nouvelle constitution gabonaise ne fait plus mention de cette déclaration qui comporte plusieurs principes à valeur universelle et qui se veut garante du principe d’égalité et de méritocratie en matière d’accès aux emplois publics.

D’entrée, nous dirons que la DDHC a été conçue pour être une norme à valeur générale et applicable dans tout système politique qui se veut démocratique. Comme le disait Sieyès «le but d’une telle déclaration est de présenter à toutes les constitutions politiques l’objet et le but que toutes, sans distinction, doivent s’efforcer d’atteindre». Nous pouvons considérer sans risque de nous tromper que, la disparition de la DDHC dans le bloc de constitutionnalité est une fragilisation du principe d’égalité d’accès à la Fonction Publique, principe qui était déjà remis en question sous les anciens régimes.

En allant de cette analyse, il est dommage de constater que la norme suprême au Gabon ne garantit plus au citoyen l’égalité d’accès aux emplois publics et une protection contre toute discrimination en la matière. Ceci représente une véritable fragilisation du principe sous l’ère de la Ve République.

Le citoyen gabonais se retrouve privé de toute possibilité d’invoquer la DDHC d’une part et la Constitution d’autre part, au cours d’un contentieux devant les juridictions compétentes. Car il faut souligner au passage que même la nouvelle Constitution ne garantit pas ce droit au citoyen, encore moins une protection contre toute discrimination dans le cas de l’accès aux emplois publics.

Une jurisprudence administrative non protectrice de cette égalité d’accès à la Fonction Publique

De façon générale, le juge est le garant de la bonne application des lois. En matière de contentieux lié à l’accès à la fonction publique, il va vérifier le respect strict de l’application de la Loi et l’absence de toute discrimination.

Son rôle est surtout décisif en matière de contentieux faisant suite à la tenue d’un concours d’entrée à la fonction publique. On ne saurait contester le mandat éminent du juge administratif dans la formation du droit de la fonction publique. Dans la logique de son œuvre en matière de droit administratif général, la juridiction administrative peut être considérée, sans exagération, comme l’un des acteurs majeurs du droit de la fonction publique.

Sous la Ve République, l’indépendance du juge administratif sera éprouvée en cas de saisine d’un justiciable dans le cadre d’un contentieux l’opposant à l’administration. Cela sera l’occasion propice pour juger d’une part de l’indépendance de la justice. D’autre part, de la réelle protection du droit qu’a tout citoyen d’accéder à cette Fonction Publique.

Mais pour cela, il faudrait au préalable qu’il soit saisi par toute personne ayant un intérêt à agir dans le cadre d’un contentieux porté sur la contestation des résultats d’un concours. En théorie, dans le cas d’une telle saisine, il est supposé vérifier s’il n’y a pas eu discrimination ni tout acte ayant de façon directe eu une conséquence faussant d’emblée les résultats d’un concours d’entrée à la Fonction Publique.

Sous les anciens régimes, il y a eu plusieurs saisines du juge administratif, notamment pour annulation des arrêtés n°0542, 543 et 0544 du 28 septembre 2021 pris par le Ministère de la Justice, garde des sceaux dans lesquels il était prévu des conditions d’éligibilité au concours national de la magistrature en toute méconnaissance de la Loi, en l’occurrence celle n°12/94 du 16 septembre 1994 portant statut général des magistrats. Il était soulevé une illégalité des textes organisant le concours qui fixaient comme condition de participation être détenteur d’un master (bac +5) contrairement à la loi applicable en la matière qui permet à tout candidat qui peut justifier d’un bac+4 de concourir. Si le Conseil d’Etat par une décision du 24 février 2022 avait déclaré l’action recevable dans la forme, il a finalement débouté le requérant au motif que le concours ayant été organisé, son action n’a plus d’objet. Pourtant il faut souligner qu’il avait été saisi selon les conditions d’urgence du sursis à exécution le 28 octobre 2021, donc bien avant l’organisation dudit concours.

Enfin, plus récemment, les résultats des concours de l’Ecole de Préparation aux Carrières Administratives et le concours de l’Ecole Nationale d’administration ont été fortement contestés. Plusieurs irrégularités ont été constatées. Mais même sous la Ve République, le juge administratif n’a à ce jour pas rendu de décision visant à l’annulation desdits concours ou montrant une réelle volonté de protéger les droits des citoyens.

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