Nous avons tous été touchés par le témoignage de Darelle Ndoumba lors de son interview avec le média en ligne GabonMediaTime lorsqu’elle racontait le chemin de croix qu’elle vit depuis 2013, depuis que son fils a été victime d’une erreur médicale consistant en un retrait arbitraire de son rein, ce qu’on appelle une néphrectomie. Au-delà du drame personnel, cette affaire met en lumière une réalité malheureusement bien connue dans le milieu médical : les erreurs de soin ne sont pas exceptionnelles, et leurs conséquences peuvent être graves.
C’est donc l’occasion de revenir sur ce que l’on entend juridiquement par « erreur médicale », d’expliquer les conditions dans lesquelles la responsabilité d’un professionnel de santé peut être engagée, et surtout, de donner des repères clairs à toute personne confrontée à une telle situation : à qui s’adresser ? Quelles démarches suivre ? Et que prévoit le droit gabonais pour obtenir réparation ?
La mise en cause de la responsabilité médicale : conditions et preuve
En l’absence de dispositions spécifiques encadrées par un Code de la santé publique, dont le projet d’élaboration est en cours de discussion, les litiges relatifs à la responsabilité médicale des médecins sont régis par les dispositions du Code civil relatives à la responsabilité civile.
Pour qu’un patient ou ses ayants droit puissent obtenir réparation, il est nécessaire de prouver trois éléments essentiels : une faute médicale, un préjudice certain, et un lien direct de causalité entre la faute et le dommage. Ces conditions sont posées par les articles 1382 et 1383 du code civil ancien, dit « code Napoléon », selon lesquels « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », et « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».
La faute peut consister en une erreur dans l’acte médical, un manquement à l’obligation d’information ou de consentement, ou encore une négligence dans le suivi du patient. Il ne s’agit pas de toute complication survenue, mais uniquement de celles qui résultent d’un manquement aux règles de l’art ou aux devoirs légaux du médecin.
La jurisprudence classique française, notamment l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, a consacré l’existence d’un contrat de soins entre le médecin et son patient, imposant au professionnel de santé une obligation de moyens. Cette conception reste pertinente dans le contexte gabonais. En cas de manquement, la responsabilité contractuelle du médecin peut être engagée, notamment lorsqu’il exerce à titre libéral. Si le professionnel agit dans un cadre hospitalier public, c’est la responsabilité de l’établissement employeur qui peut être engagée.
Le préjudice peut être physique, moral ou économique. Il doit être individualisé et démontré.
Le lien de causalité implique que le dommage soit la conséquence directe de la faute médicale. Il peut également s’agir d’une perte de chance d’éviter l’aggravation de l’état de santé.
Enfin, si le dossier médical est perdu par l’établissement de santé, la charge de la preuve peut être aménagée au profit du patient.
La responsabilité sans faute et l’aléa thérapeutique : une exception encadrée
La responsabilité sans faute, bien qu’à l’heure actuelle ne soit pas consacrée par la législation gabonaise, constitue une exception au principe selon lequel une faute médicale doit être prouvée pour obtenir réparation. Elle permettrait à un patient d’être indemnisé alors qu’aucune erreur ne peut être reprochée au médecin ou à l’établissement de santé.
Ce type de responsabilité pourrait être engagé dans des cas bien précis, notamment :
- en cas d’infection nosocomiale (infection contractée lors d’un séjour à l’hôpital),
- en cas de défaillance d’un produit de santé (prothèse, médicament, dispositif médical),
- ou encore en présence d’un aléa thérapeutique, c’est-à-dire lorsqu’un acte médical, pourtant nécessaire et correctement exécuté, provoque un dommage grave et imprévisible.
Dans cette dernière situation, la responsabilité de l’établissement ou du professionnel pourrait être engagée si plusieurs conditions sont réunies :
- le risque s’est réalisé de manière exceptionnelle,
- il n’existait aucun signe laissant penser que le patient y était particulièrement exposé,
- et le dommage subi présente une gravité particulière, sans lien direct avec l’état initial du patient ni son évolution normale.
Ce régime reposerait sur une logique de solidarité : l’idée serait de ne pas laisser à la seule charge de la victime les conséquences d’un accident médical rare mais lourd de conséquences, alors même que le médecin n’aurait commis aucune faute.
L’expertise médicale
L’expertise médicale intervient tant en phase amiable qu’en phase contentieuse. Elle permet d’éclairer les parties, et plus tard le juge, sur les éléments techniques du litige.
La phase amiable. Dans un premier temps, le patient (ou ses ayants droit) peut adresser une réclamation à l’établissement dans lequel exerce le médecin ou au médecin lui-même. Ce préalable est important car certains litiges peuvent se résoudre sans recourir à la justice.
Une expertise amiable, souvent contradictoire (c’est-à-dire réunissant le patient et le médecin, ou les représentants de chaque partie), peut alors être mise en place. Les parties désignent ensemble un expert médical indépendant qui examinera les faits, les soins prodigués et leurs conséquences. Le rôle de cet expert est d’établir un diagnostic objectif sur la conformité ou non des soins. Son rapport peut aboutir à une transaction amiable.
La phase contentieuse. Lorsque la tentative amiable échoue, la victime saisit le juge compétent, administratif si le médecin est un agent public, ou judiciaire dans le cas d’un professionnel privé. Même si une expertise amiable a été réalisée, le juge, qui n’est pas un médecin, ne peut se prononcer techniquement sans appui. Il désigne donc, par voie d’ordonnance, un expert judiciaire inscrit sur la liste officielle.
Cet expert judiciaire procède à une nouvelle expertise, au cours de laquelle les parties peuvent formuler des observations, fournir des documents, demander des compléments. Une fois le rapport remis, il devient un fondement central pour la suite du procès.
Que se passe-t-il après l’expertise judiciaire ?
Une fois l’expertise judiciaire rendue, deux hypothèses se présentent :
- Soit l’expert conclut à la responsabilité du médecin, et évalue les préjudices subis par la victime ;
- Soit l’expert exclut la faute médicale, mais propose tout de même une évaluation des préjudices subis.
Dans tous les cas, c’est le juge qui, sur la base de ce rapport remis par l’expert qu’il a désigné, tranche définitivement le litige. Il apprécie la responsabilité, statue sur la causalité, et fixe l’indemnisation. Le juge peut suivre les conclusions de l’expert, mais il n’y est pas juridiquement tenu.
Comment le préjudice s’évalue-t-il ?
L’indemnisation repose sur le principe de réparation intégrale du dommage.
C’est l’expert médical, dans son rapport, qui évalue les différents postes de préjudices subis par la victime. Cette évaluation s’appuie sur des barèmes médico-légaux reconnus et fondés sur ce qu’on appelle la « nomenclature Dintilhac », utilisée comme référence d’évaluation des préjudices corporels. Elle permet de classifier et de quantifier les atteintes selon qu’elles sont patrimoniales ou extra-patrimoniales, temporaires ou permanentes.
L’expert chiffre notamment :
- Les atteintes physiques (déficit fonctionnel permanent, douleurs chroniques, paralysie, perte d’un membre) ;
- Le préjudice esthétique ou d’agrément (cicatrices visibles, boiterie, impossibilité de pratiquer un loisir ou un sport) ;
- Les souffrances endurées (douleurs pendant les soins, interventions multiples, traitements lourds);
- Les pertes de gains professionnels ou les incapacités (arrêt de travail, reconversion forcée, licenciement pour inaptitude) ;
- Les frais médicaux et d’assistance future (soins à domicile, aménagement du logement, matériel médical);
- Les troubles dans les conditions d’existence (perte d’autonomie, isolement social, dépression liée au handicap).
Sur la base de ce rapport, le juge statue et fixe le montant de l’indemnisation selon la gravité des séquelles et les circonstances propres à chaque dossier. L’indemnisation peut être versée en capital ou sous forme de rente, et peut couvrir l’intégralité de la vie restante de la victime, selon la gravité des séquelles.
La responsabilité pénale et disciplinaire du médecin
Au-delà de la réparation civile, un médecin peut voir sa responsabilité pénale engagée lorsqu’une faute grave est suspectée dans le cadre de son exercice professionnel. Le Code pénal gabonais prévoit des sanctions en cas d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique, il est donc tout à fait possible que ces contentieux se déplacent sur le volet pénal. Toutefois, la mise en œuvre de cette responsabilité n’est jamais automatique : elle suppose une analyse rigoureuse des faits, une faute caractérisée, et très souvent, une enquête judiciaire préalable.
L’homicide involontaire : une infraction nécessitant gravité de la faute et lien de causalité certain. Un médecin peut être poursuivi pour homicide involontaire lorsqu’un patient décède à la suite d’un acte médical entaché de maladresse, imprudence, négligence ou inobservation des règlements, conformément à l’article 246 du Code pénal qui dispose que :
« Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, a involontairement causé la mort d’autrui ou en a été involontairement la cause, est puni d’un emprisonnement de cinq ans au plus et d’une amende de 2.000.000 de francs au plus. »
Cependant, la répression de cette infraction repose sur deux conditions cumulatives :
- L’existence d’une faute médicale avérée : il peut s’agir, par exemple, d’un manquement aux règles de l’art, d’un défaut de vigilance, ou encore de l’inobservation d’un protocole médical établi. Cette faute doit être précise, concrète et clairement caractérisée, et non simplement supposée.
- L’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le décès : il ne suffit pas que le décès survienne après l’acte médical. Il faut démontrer que la faute a directement causé la mort, et non qu’elle a simplement coïncidé avec une évolution naturelle ou imprévisible de l’état du patient.
Ainsi, l’engagement de la responsabilité pénale du médecin ne peut être envisagé que lorsque la faute est grave et que son lien avec le décès est établi avec certitude. À défaut, une condamnation ne peut légalement intervenir, même si les conséquences ont été dramatiques. Cette exigence vise à protéger les professionnels de santé contre des poursuites infondées dans des contextes médicaux parfois complexes et incertains.
La mise en danger de la vie d’autrui : une infraction fondée sur une violation délibérée d’une obligation de sécurité. La responsabilité pénale du médecin peut également être recherchée en l’absence de dommage effectif, lorsque son comportement expose un patient à un risque immédiat de mort ou de blessures graves. Tel est le cas visé par l’article 249-1 du Code pénal gabonais aux termes duquel :
« Quiconque expose directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, est puni d’un emprisonnement de cinq ans au plus et d’une amende de 5.000.000 de francs au plus. »
Trois éléments doivent être réunis :
- Une obligation particulière de prudence ou de sécurité, issue d’un protocole médical, d’une règle d’hygiène, d’un standard professionnel, ou imposée par un texte légal ou réglementaire ;
- Une violation manifestement délibérée de cette obligation, c’est-à-dire une transgression consciente de la règle, avec la connaissance du risque encouru. Il ne s’agit pas d’une simple négligence, mais d’un comportement dont le médecin sait qu’il est dangereux ;
- L’exposition directe à un risque immédiat, sans que le dommage ne soit nécessairement réalisé. Il suffit que le danger soit réel, grave et imminent, comme un risque de mort ou de lésion permanente.
Ce type de mise en cause peut concerner, par exemple :
- L’administration d’un traitement à fortes doses sans justification médicale claire ;
- L’exécution d’un geste invasif sans respecter les règles élémentaires d’asepsie ;
- Ou encore, la prise en charge d’un acte complexe sans compétence suffisante ni orientation vers un praticien qualifié.
Ici encore, la responsabilité pénale ne résulte pas mécaniquement de l’erreur médicale, mais de la caractérisation précise de l’infraction, au regard des circonstances concrètes et des obligations professionnelles applicables.
La responsabilité disciplinaire : un recours complémentaire. Parallèlement aux actions judiciaires, la victime ou ses ayants droit peuvent saisir l’Ordre des médecins, qui dispose d’un pouvoir disciplinaire. Cette voie permet, indépendamment de toute sanction pénale, d’obtenir une reconnaissance d’un manquement déontologique et éventuellement une sanction professionnelle (blâme, suspension, radiation).
Pour finir, engager la responsabilité du médecin, qu’elle soit civile, pénale ou disciplinaire, repose sur une appréciation fine des faits, souvent éclairée par une expertise médicale. En l’absence de Code de la santé publique au Gabon, c’est le droit commun qui s’applique, avec des principes de responsabilité exigeants. La faute doit être caractérisée, le lien de causalité démontré, et l’infraction clairement constituée. Cette rigueur est essentielle pour concilier la protection des patients avec les conditions parfois difficiles de l’exercice médical.