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La liberté d’expression de la presse est-elle sans limites au Gabon ? 

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Des médias libres, indépendants et pluralistes et bénéficiant de la liberté d’information sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. Reconnaître une certaine liberté aux médias vise nécessairement à la protection de tous les autres droits de l’homme. Révéler les faits à la connaissance du public constitue souvent une première étape qui permet ensuite de remédier aux violations des droits de l’homme et d’amener le gouvernement et les autorités publiques à rendre des comptes. 

Or, d’inquiétants signes de répressions et d’atteintes à la liberté des médias s’observent depuis quelques mois au Gabon alors que, à la suite de la prise du pouvoir par le Comité pour la Transition et la Restauration des institutions la nouvelle autorité avait exprimé, le 2 septembre 2023, son souhait de reconnaître à la presse de réelles garanties de liberté et d’indépendance parla défense de son caractère inviolable.  En effet, après les journalistes du média Gabon Media Time qui ont fait l’objet de garde à vue début octobre, quelques autres faits concernant d’autres médias n’ont pas manqué d’interroger l’opinion publique sur les tenants et aboutissant de cette liberté conférée aux organes de presse. 

Mais avant d’évoquer le fond du sujet qu’est-ce qu’une liberté ? C’est la faculté accordée à un individu  d’agir et de se comporter selon ce que lui dicte sa conscience. C’est donc un pouvoir d’autodétermination. Dire qu’un pays a une presse libre c’est considérer que les médias et autres formes de publication ainsi que ses citoyens ont le droit de communiquer des informations sans être influencés ou contrôlés par l’Etat ou d’autres formes de pouvoir et sans craindre des représailles de la part de ces derniers. Cependant, la liberté d’expression et de la presse sont-elles absolues ? Limités ? Si oui, comment ? En d’autres termes, la presse peut-elle être sanctionnée ou poursuivie pour ce qu’elle écrit ? 

En premier lieu il faut rappeler que la liberté d’expression et de la presse sur lesquelles se fondent l’activité des médias bénéficient d’une protection constitutionnelle. En effet, il résulte des dispositions des articles 94 et 95 de la Constitution que la communication audiovisuelle et écrite est libre en République gabonaise sous réserve du respect de l’ordre public, de la liberté et de la dignité des citoyens. Elle est par ailleurs réaffirmée par l’article 9 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples mais aussi par l’article 11 de la Charte nationale des Libertés de 1990. Les médias sont le relais de la liberté d’expression et, sans liberté de la presse la démocratie ne peut survivre. Son est donc garantie par des textes à valeurs constitutionnelles et la loi, à travers la Loi n° 019/2016 du 09 août 2016 portant code de la communication en République Gabonaise, organise un régime répressif qui laisse l’individu exercer sa liberté tout en lui assignant des limites dont la transgression peut entraîner des sanctions. Ce texte et particulièrement son article 3 consacre tout d’abord la liberté comme étant au fondement des activités de communications audiovisuelles, écrites, numériques et cinématographiques avant d’y apporter certaines limites  » dans les cas prévus par la loi « .

Doit-on ainsi comprendre que les incidents relatés plus haut, ayant ébranlé le monde de la presse gabonaise ces derniers mois constituent des restrictions légales et légitimes à la liberté de la presse ? La première affaire nous servant d’illustration concerne celle ayant opposé en début octobre les journalistes de Gabon Media Time et le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Libreville. Dans cette affaire très inédite, à la suite de la publication d’un article mettant en relief une irrégularité lors d’une procédure de perquisition par le média dont l’objectif était d mettre aux yeux du jour des soupçons de détournement de fonds perquisitionnés, les journalistes de ce média ont fait l’objet d’une garde à vue qui ne s’est interrompue que quelques jours plus tard. Sans avoir la prétention de revenir sur le fond de cette perquisition et ces supposés détournement qui, on l’espère, font l’objet d’une enquête, c’est plutôt la garde à vue subie des journalistes qui inquiète alors que ceux-ci sont protégés par la liberté de la presse et surtout par la dépénalisation des délits de presse tel qu’affirmée par le code de la communication dans sa version résultant de l’ordonnance n°00000012/PR/2018 du 23 février 2018, dont l’article 199 bis dispose que “ il est exclu toute sanction privative de liberté en cas de manquement aux dispositions de la présente ordonnance et règlements en vigueur notamment les infractions commises par voie de presse”.  

Que recouvre réellement cette interdiction ? Elle implique simplement l’idée que les journalistes, pour des faits relatifs à leur activité, ne puissent faire l’objet de mesures privatives de liberté. Les effets de ce texte, dont la portée est générale, appellent une observation particulière au cas GMT. En interdisant les “mesures privatives de liberté” il renvoie aussi bien aux peines privatives de libertés décidées par une juridiction tels que l’emprisonnement ou même la détention préventive, mais aussi aux mesures privatives de liberté comme la garde à vue qui est une mesure d’enquête placée sous l’autorité du parquet au sens de l’article 40 du code de procédure pénale. Ainsi, en plaçant en garde à vue les journalistes du média, quand bien même le Procureur invoquait une publication portant atteinte à sa dignité, celui-ci a méconnu le principe d’interdiction des délits de presse et on justement s’étonner que cette illégalité n’ait pas donné suite à des prises de position du Ministère de la justice étant son supérieur hiérarchique. 

Liberté d’expression et de la presse, dépénalisation des délits de presse, la presse reste-t-elle ainsi toujours impunie ? Si à première vue les activités de la presse semblent être protégée par des garantie constitutionnelles et légales, il n’en demeure pas moins que la loi encadrant cette activité dans un régime répressif – la liberté est la règle, seuls les abus peuvent donner lieu à restrictions – des sanctions notamment lorsque les propos véhiculés portant atteinte à la dignité d’une autre personne. Toujours à titre d’illustration la situation qu’a connue le média Dépêche 241 permettra de saisir le propos. 

Dans un article paru le 4 juillet 2023 intitulé “ Enseignement de l’homosexualité au Primaire : le silence écoeurant de Camélia Ntoutoume Leclercq devant une infamie manifeste “ dans lequel le média s’interrogeait sur le silence du Ministre de l’Education nationale concernant la polémique autour de l’introduction de l’ensenfginement de l’homosexualité dans les programmes scolaires le média a laissé entendre que cette posture “ confirme, selon l’acteur de la société civile Geoffroy Foumboula Libeka, des soupçons d’un réseau institutionnel d’homosexuel dans les sphères décisionnelles de l’Etat ”. Une plainte a été déposée par la Ministre auprès de la Haute Autorité de la Communication et le directeur de publication du média a été convoqué et invité à exprimer ses observations. 

Cette affaire a fait l’objet d’un traitement particulier sur les réseaux et la majeure partie des commentateurs s’offusquent du fait que la liberté de la presse soit de plus en plus réduite. Il convient cependant de mettre des points sur les i et des barres aux t. En effet une conciliation est opérée entre liberté de la presse et protection de la vie privé d’autrui ce qui implique nécessairement que les journalistes, dans leurs écrits, soient limitées par l’article 44 du code de la communication et puissent faire l’objet de poursuites ou de sanctions toutes les fois ou leurs écrits porteraient atteinte à une personne déterminée ou déterminable par voie d’insinuation malveillante, calomnie, injure, déformation des faits etc. En l’espèce une nuance doit être faite entre relayer les propos d’une tierce personne pour information et confirmer ou laisser entendre son adhésion aux propos calomnieux d’une autre personne à l’égard d’une autre tout en la rendant publique par tout moyen de communication. Prudence et mesure dans l’expression sont ainsi de mise même quand on veut se faire le relai d’un débat de notoriété publique.

Des sanctions administratives par la Haute autorité de la Communication peuvent être prononcées en cas d’abus à la liberté d’expression mais aussi des sanctions pécuniaires prononcées par une juridiction ce qui implique une saisine et un jugement qui, dans tous les cas, ne peut déboucher sur une peine privative de liberté pour le journaliste poursuivi. Le journaliste aura donc toujours l’occasion de se défendre et éventuellement échapper à la condamnation s’il invoque la bonne foi ou apporte la preuve que son propos est vrai. 

Pour conclure, les journalistes, la presse et tous les organes soumis au code de la communication sont bien protégés par la liberté d’expression et de la presse mais peuvent cependant faire l’objet de sanctions toutes les fois ou ils feraient un abus de ce droit ou auraient porté atteinte à la dignité de toute autre personne par des propos sans fondement.

Ecrit par :
Terence Asseko Akoma

Juriste / Élève-avocat Co-fondateur de Que Dit La Loi

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