A l’orée des indépendances, le Gabon a amorcé les bases de la décentralisation en se dotant de l’ordonnance n°24/PR/MI.TC du 06 avril 1963 qui installe le statut particulier de certaines municipalités et notamment celle de Libreville. Cette ordonnance pose les bases de l’organisation administrative actuelle. La répartition du pouvoir entre le centre et la périphérie était déjà un des principaux défis de la jeune nation fraichement indépendante. La Conférence nationale de 1990 et les accords de 1994 n’ont été que la suite logique de cette volonté de voir le pays évoluer. Ces grands rendez-vous de l’histoire se sont mués en tribunes, favorisant la prise de décision politique majeure permettant de rompre avec la centralisation excessive, ouvrant la voie à la réforme territoriale
De façon générale, il faut dire qu’il existe dans l’Etat, une dimension politique à laquelle le Gabon n’échappe pas, avec l’existence d’autonomies locales. Dans ce système fortement hérité de l’administration coloniale, l’organisation administrative est caractérisée par un double réseau administratif. L’administration d’Etat dispose ainsi de démembrements ou de représentants sur l’ensemble du territoire dans le cadre de circonscriptions administratives. Et, une administration locale, souvent élue, coexiste avec ce premier réseau, dans le cadre de collectivités territoriales.
C’est ainsi qu’il existe dans tout pays deux tendances en partie contradictoires, la tendance à l’unité et la tendance à la diversité. Il faut souligner que ces deux tendances ne mettent pas à mal à l’unité nationale. Au contraire, elle participe au développement et à l’identité nationale. La nation est un groupement qui concrétise cette tendance à l’unité. Elle réalise, le vouloir-vivre collectif qui se trouve inclus dans l’aspiration à l’unité. Sur le plan administratif, la volonté d’unité conduit à uniformiser les mesures édictées à l’ensemble du territoire et pour en assurer la cohérence, à confier le pouvoir d’édiction des actes administratifs aux autorités centrales. Elle se traduit par la centralisation.
Mais aussi, il existe une autre tendance, qui est celle de la diversité des groupes sociaux, commandée par des considérations d’ordre géographique ou historique. Le respect de cette diversité implique, sur le plan administratif, l’adaptation des mesures aux singularismes de chaque groupe social. C’est la décentralisation.
On constate dans les faits, un dosage de centralisation et de décentralisation. C’est cette part respective qui détermine toujours l’originalité administrative d’un pays.
Par ailleurs, avant tout développement, il serait judicieux de procéder à la définition de certaines notions telles que : la centralisation et la décentralisation.
LA CENTRALISATION : il existe théoriquement deux modalités de centralisation. Il peut être distingué la centralisation pure et la déconcentration. En effet, la centralisation pure est un système dans lequel la vie administrative dépend du seul pouvoir central. Ils sont seuls habilités à édicter des décisions administratives applicables, sur tout le territoire. Ces décisions sont de facto imputées à l’Etat car rien n’existe en dehors de lui. Certes, en principe, ce système de centralisation absolue n’exclut pas une adaptation en fonction des circonstances locales : c’est ainsi tout d’abord, que les autorités centrales peuvent n’édicter des mesures que pour une partie du territoire. Aussi, les agents publics peuvent être répartis sur tout le territoire, et être chargés d’appliquer les dispositions prises par le centre. Toutefois, il existe dans les faits, un fossé entre les décisions issues du pouvoir central et les réalités de chaque localité. Dans la pratique, une décentralisation pure peut s’avérer peu viable.
La déconcentration quant à elle, est une forme de centralisation plus viable. C’est la reconnaissance à des agents de l’Etat répartis sur l’ensemble du territoire, un certain pouvoir de décision. Nous demeurons toujours dans la centralisation puisque, d’une part, les agents sont subordonnés hiérarchiquement au pouvoir central, et que d’autre part, leurs décisions sont imputées à l’Etat seul. Les articles 3 de la Loi Organique n° 15/96 du 6 juin 1996 Relative à la décentralisation et la Loi Organique n°001/2014 du 14 juin 2015 définissent la déconcentration comme étant « la délégation de pouvoirs de décision et de contrôle, de compétences et de moyens des services centraux aux agents de l’Etat placés à la tête des circonscriptions territoriales ou des services extérieurs de l’Etat ; » Cependant, il y a une atténuation de la rigidité centralisatrice car, dans les limites définies par le pouvoir central, ces agents peuvent prendre des décisions tenant compte des nécessités locales. C’est l’exemple du préfet.
LA DECENTRALISATION : c’est un système qui reconnait une existence juridique aux diversités locales. La décentralisation est fondée sur l’idée qu’il existe des affaires qui ne sont pas d’intérêt national, et que les intéressés peuvent et doivent prendre en charge eux-mêmes.
Au Gabon, la décentralisation est prévue au titre VIII de la Constitution consacrée aux collectivités locales. Conformément à l’article 155 « L’Etat assure la gouvernance des collectivités locales par une politique de décentralisation efficace et efficiente, garante d’un développement local équitable, démocratique et inclusif. ». C’est la Loi Organique n° 15/96 du 6 juin 1996 Relative à la décentralisation et la Loi Organique n°001/2014 du 14 juin 2015 qui nous donnent une définition de la décentralisation. En effet, selon ces lois, la décentralisation est « le transfert des compétences et des moyens de l’État à une collectivité locale placée sous sa tutelle ».
La décentralisation repose sur une donnée juridique : la reconnaissance de la personnalité juridique. C’est d’abord l’admission de personnes publiques autres que l’Etat. La décentralisation est un sujet capital qui revêt de grands enjeux. Aussi, nous allons faire un tour d’horizon sur ces différents acteurs.
LES ENJEUX
Au vue des nombreuses mesures prises récemment par l’exécutif, il serait utopique de penser à une mise en œuvre efficace sans une réelle décentralisation. En effet, la décentralisation par essence a un caractère hautement politique. Elle est gage d’une démocratie effective. Aussi, si le pouvoir central est souvent à l’initiative de toute impulsion économique, cet essor économique ne pourra pas être atteint s’il est envisagé sans la collaboration des collectivités locales.
La décentralisation, réelle baromètre de la démocratie
La décentralisation a un caractère hautement démocratique. Sur le plan politique, il y a un lien indéniable entre la décentralisation et la démocratie. D’une part, la frontière entre la décentralisation et la démocratie est poreuse : s’il est communément admis que la démocratie est « le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple », la décentralisation représente, l’application des principes démocratiques. C’est la matérialisation même du fait que, sur le plan local, les populations sont à même de gérer elles-mêmes, les affaires courantes qui impactent quotidiennement leur vie. En d’autres termes la démocratie ne peut s’arrêter à l’ordre politique, elle doit s’appliquer aussi à l’ordre administratif. La gestion de leurs affaires par les intéressés en est la concrétisation.
D’autre part, la décentralisation est présentée comme une école de la démocratie : « les collectivités locales s’administrent librement par des conseils élus » (article 157 Constitution). Les populations choisissent elles-mêmes à travers les élections libres et démocratiques les personnes qui auront la charge de conduire leurs destinées sur le plan local. Ces conseils doivent être dotés d’attributions effectives et claires. En France, il existe le Code Général des Collectivités Territoriales qui est assez explicite sur les domaines des compétences des communes, Départements et régions. Au Gabon, il est urgent de se doter des textes d’application afin de clarifier les domaines de compétence de chaque collectivité.
La décentralisation, condition sine qua none d’un réel développement économique
L’impact des collectivités territoriales dans la vie économique des Etats qui ont appliqué une réelle décentralisation est indéniable. En effet, en France par exemple, les collectivités locales représentent plus de 50% des investissements civils total tout en étant un employeur majeur. A l’heure où nous assistons à une crise réelle de l’emploi, les collectivités territoriales dans le cadre d’une décentralisation effective peuvent être de réels pourvoyeurs d’emplois. En 2022, elles constituent en France sensiblement 34% des effectifs de la fonction publique
Aussi, les collectivités locales contribuent de façon efficace à la croissance économique au travers leurs dépenses et le soutien qu’elles apportent aux entreprises locales. Elles représentent une part importante de l’investissement public. Le département du Nord de France a par exemple, pour 2025, adopté un budget de 3.875 milliards d’euros avec 75.5% des dépenses de fonctionnement consacrés aux solidarités humaines. Les collectivités locales partout ailleurs sont de réelles acteurs économiques qui interviennent dans différents secteurs comme : l’emploi et l’insertion, l’éducation, la voirie, l’enfance et la famille, etc.
La décentralisation permet aux principaux intéressés de gérer eux-mêmes leurs affaires propres. Pour cela, il faut une reconnaissance par le pouvoir central, d’affaire d’intérêt local. Toute la difficulté réside dans la définition de ces affaires locales, car leur étendue peut être variable.
Du point de vue économique comme du point de vue administratif, il s’agit de libérer les administrations centrales des taches de gestion pour lesquelles elles ne sont pas conçues.
ACTEURS
Au Gabon, la décentralisation fait intervenir différents acteurs. Il y a principalement les collectivités locales et ensuite, les organes de la décentralisation prévue par le décret de 2020. A la lecture de la Loi Organique n°15/96 du 6 juin 1996 relative à la décentralisation en son article 4, est considérée comme collectivité locale le département, la commune rurale, la commune urbaine ou toute autre collectivité territoriale dotée par la Loi de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Cette Loi établit une différenciation entre la commune rurale et la commune urbaine.
Plus tard, avec la Loi Organique n° 001/2014 du 14 juin 2015, le législateur abandonne cette distinction entre la commune rurale et la commune urbaine. Toutefois, il distingue trois catégories de communes en fonction de critères démographique, économique et géographique.
Au vue de ces deux textes, le législateur laisse une brèche à l’amalgame et à la confusion en prévoyant comme condition d’existence d’une collectivité territoriale, toute entité à qui la Loi attribuerait une personnalité juridique et une autonomie financière. Cela peut créer une confusion entre les établissements publics qui sont aussi dotés d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière et les collectivités territoriales qui répondent le plus souvent à une réalité géographique et démographique.
Décret n°000304/PR/MDCDT du 14/08/2020 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement des organes de la décentralisation
Parmi les organes de la décentralisation nous avons :
- La Commission Nationale de la Décentralisation, en abrégé CND
- Le Comité Technique de la Décentralisation, en abrégé CTD
- Les Commissions Provinciales de la Décentralisation, en abrégé CPD
La Commission Nationale de la Décentralisation comprend des membres permanents, qui sont membres du gouvernement, et des membres non permanents, qui sont représentants des collectivités locales. La CND a pour mission de proposer au Président de la République, les mesures de mise en œuvre de la décentralisation arrêtées par le Comité Technique de la Décentralisation.
Ensuite, il y a le Comité Technique de la Décentralisation. C’est un organe de régulation des actions exécutées dans le cadre de la politique de la décentralisation. Il a pour mission de proposer les compétences de l’Etat à transférer aux collectivités locales et d’évaluer les incidences financières, humaines et matérielles liées au transfert de compétences. Il travaille en étroite collaboration avec le CND.
Enfin, les Commissions Provinciales de la Décentralisation. Elles ont différentes missions dont :
- Veiller à la mise en œuvre de la politique de la décentralisation
- Donner leur avis sur toute création de taxes, d’amendes et d’impôts locaux dans la province
- S’assurer du respect de la programmation de la mise en place du processus de la décentralisation.
Un projet d’ordonnance validé en janvier 2025 prévoit le transfert progressif des compétences de l’Etat vers les collectivités locales dans deux phases, notamment en pilotes dans les chefs-lieux de province, conformément à l’article 220 de la Loi organique 001/2014.
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