Depuis le 13 janvier 2025, le Syndicat national des magistrats du Gabon (SYNAMAG) maintient une grève illimitée, dénonçant l’inaction du gouvernement face à leurs revendications. Ce mouvement, qui s’est intensifié en mars avec un durcissement du ton des magistrats, interroge sur l’exercice du droit de grève dans un corps essentiel au bon fonctionnement de la justice.
Quelle est la portée juridique de cette mobilisation et quelles limites légales encadrent le droit de grève des magistrats au Gabon ?
Un mouvement justifié par des revendications liées aux conditions de travail et à l’application du statut des magistrats
Les magistrats grévistes réclament principalement la signature du décret d’application de la loi n°040/2023 portant statut des magistrats, qui leur accorde plusieurs avantages statutaires encore inaccessibles en l’absence de ce texte. En parallèle, ils dénoncent leurs conditions de travail dégradées :
- Vétusté des tribunaux et cours de justice, dont certains bâtiments sont considérés comme dangereux et inadaptés à l’exercice de la justice.
- Manque de moyens logistiques, notamment l’absence de véhicules pour les magistrats en province, rendant leurs déplacements difficiles voire impossibles.
- Insuffisance des primes, en particulier celles de logement et de transport, qui ne correspondent plus aux réalités actuelles et devraient être réévaluées.
- Fourniture des toges, élément essentiel de leur fonction, souvent indisponible ou en nombre insuffisant.
Ces revendications visent non seulement à améliorer leurs conditions de travail, mais aussi à garantir une justice efficace et accessible aux citoyens.
Le contexte historique du droit de grève des magistrats
Le droit de grève des magistrats au Gabon a été encadré par plusieurs textes, dont la loi n°12/94 du 16 septembre 1994 portant statut des magistrats. Son article 15 disposait notamment :
« Toute manifestation de nature politique, incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions, est interdite aux magistrats, conformément aux dispositions du statut général de la fonction publique.
Est également interdite toute action de nature à arrêter le fonctionnement des juridictions. »
Bien que le mot « grève » ne soit pas expressément mentionné, on déduisait de ce second alinéa une interdiction de principe de la grève, dans la mesure où toute cessation collective du travail est, par nature, une action de nature à arrêter le fonctionnement des juridictions. De plus, cette interdiction était absolue, car aucune disposition de la loi n°12/94 n’envisageait la possibilité d’un droit syndical ou d’une quelconque atténuation à ce principe.
Ce cadre légal a évolué avec l’adoption de la loi n°040/2023 du 26 octobre 2023, portant nouveau statut des magistrats. L’article 15 de la loi de 1994 n’a pas été repris, et la nouvelle loi, tout en reprenant certains principes, modifie l’approche, notamment à travers la reconnaissance du droit syndical des magistrats.
Le droit de grève des magistrats, aujourd’hui
L’article 17 de la loi n°040/2023, tout comme l’ancien article 15 de la loi n° 12/94, semble établir une interdiction générale de la grève des magistrats :
« Sans préjudice de l’exercice des droits syndicaux, toute action concertée de nature à arrêter le fonctionnement des juridictions est interdite. »
En d’autres termes, les magistrats ne peuvent pas engager une action collective qui aurait pour effet de paralyser les juridictions. Cette disposition pourrait être interprétée comme une interdiction de la grève, puisque toute cessation totale du travail empêcherait inévitablement le fonctionnement des tribunaux.
Cependant, cette interdiction n’est pas absolue, puisqu’elle est tempérée par l’article 20 de la même loi qui ouvre un espace pour l’exercice du droit syndical des magistrats.
L’article 20 : Une ouverture au droit syndical et, par extension, au droit de grève ?
L’article 20 de la loi n°040/2023 dispose que :
« Le droit syndical est garanti aux magistrats qui peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats.
Pour l’exercice de ce droit, les magistrats sont soumis aux dispositions des textes en vigueur applicables aux agents publics. »
Cet article revêt une portée essentielle : en autorisant l’activité syndicale, il introduit une exception à l’interdiction posée par l’article 17 qui prohibe toute action de nature à arrêter le fonctionnement des juridictions. Surtout, l’article 20 opère un renvoi direct à la législation applicable aux agents publics à savoir la loi n°18/92 du 18 mai 1993, laquelle définit et encadre strictement le droit de grève.
Concrètement, que dit cette loi ?
L’article 18 qualifie la grève comme « tout arrêt collectif et concerté de travail, ou tout comportement collectif de nature à perturber le fonctionnement normal d’un service », ce qui correspond précisément aux actions engagées par les magistrats dans le cadre d’un mouvement syndical.
- L’article 19 impose qu’un préavis soit adressé à l’administration avant toute grève, ce qui implique une organisation structurée, typiquement assurée par un syndicat.
- L’article 20 fixe les modalités précises de ce préavis : il doit être remis au moins huit jours avant le début de la grève, comporter les revendications, la durée envisagée, et la désignation des représentants syndicaux pour la négociation.
- En parallèle, l’administration est tenue de convoquer les parties dans les 48 heures suivant le dépôt du préavis afin de tenter une conciliation.
- En cas d’échec, un médiateur est désigné par le Premier ministre (article 21).
- Enfin, et surtout, l’article 22 rend obligatoire la mise en place d’un service minimum par les syndicats concernés durant la grève.
Mais une question se pose, presque théorique : un magistrat, en dehors de toute structure syndicale, pourrait-il exercer seul son droit de grève ?
En pratique, une telle hypothèse semble difficilement concevable. D’une part, parce que la grève est, par définition, collective. D’autre part, parce qu’un arrêt isolé du travail par un magistrat n’aurait que peu d’impact sur le fonctionnement des juridictions et ne bénéficierait d’aucune protection légale.
L’arsenal juridique en vigueur, notamment la loi n°18/92, ne prévoit pas de droit de grève individuel : tout mouvement suppose un préavis syndical, un cadre structuré, et la mise en œuvre d’un service minimum. Autrement dit, un magistrat seul ne peut légalement faire grève, sous peine de sanctions.