« Cui pecunia dat, imperat. » autrement dit, à qui donne l’argent, commande. Cette locution latine met en avant l’asservissement dont peut faire l’objet, l’individu ou l’entité qui bénéficie d’une aide ou d’une subvention. En politique, comme dans les autres domaines de la vie, il est admis que celui qui finance a le loisir de commander et donc d’influencer les prises de décisions.
Dans l’optique d’avoir une vie politique saine, loin de toute ingérence étrangère et des lobbies de tout genre, il est plus que nécessaire d’encadrer le financement des partis politiques. Cet encadrement peut s’envisager par la participation publique au financement de la vie politique et par un contrôle exercé sur les comptes de ces acteurs de notre démocratie.
L’organisation d’une élection peu importe sa nature, est l’expression la plus élaborée de la démocratie. Cette démocratie ne peut être garantie que quand les acteurs principaux de la vie politique ne sont pas sous l’influence de lobbies ou d’autres acteurs parce qu’ils auraient bénéficié de financements occultes lors de leurs campagnes électorales.
Dès lors, le financement des campagnes électorales est le point névralgique de la vie politique dans un état qui se veut démocratique. Car il soulève une multitude d’interrogations en lien avec les questions de transparence quant aux comptes de campagne, d’équité entre les candidats et d’influence potentielle de l’argent sur la politique. Par souci d’indépendance et de confiance entre les électeurs et les candidats, il est bon d’éviter toute manipulation et de garantir une certaine forme de contrôle en amont et en aval de toute période électorale.
Dans l’optique de lutter contre la corruption, le blanchiment de fonds ou le financement du terrorisme, les campagnes électorales sont encadrées par un ensemble d’arsenal juridique visant à exercer un contrôle sur les origines des fonds utilisés par les acteurs politiques. Se soustraire à ces obligations peut donner lieu à des scandales ou au discrédit de certains acteurs de la scène politique. En France par exemple, une affaire scandaleuse a entaché la carrière de l’ancien Président français Nicolas Sarkozy, qui aurait bénéficié du financement de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi lors de sa campagne présidentielle de 2007.
A ce titre, il existe dans un nombre important d’États, un financement public de la vie politique et le Gabon s’est récemment doté de deux textes de lois qui tendent à emboiter ce pas. Même s’il est vrai que le financement public n’est pas, encore un principe unanimement admis, l’application des dispositions de ces lois interroge.
Historiquement, les campagnes électorales ont souvent été l’occasion pour certains candidats prodigues, de dépenser de façon ostentatoire des sommes mirobolantes dont les origines à ce jour restent méconnues ou injustifiées. Sous l’impulsion du nouveau régime, le législateur a voté la Loi Organique n°001/2025 portant Code électoral en République et la loi n°016/2025 du 27 juin 2025 relative aux partis politiques en République Gabonaise. Ces nouvelles législations ont pour vocation de parfaire la Loi du 6 juin 1996 relative aux partis politiques et d’encadrer les campagnes électorales et le financement de la vie politique en général.
La loi n°016/2025 du 27 juin 2025 relative aux partis politiques en République Gabonaise, si elle n’est pas parfaite, elle a le mérite de plafonner les dépenses des candidats lors des différentes campagnes électorales. Cependant, l’intervention du législateur ne semble pas aboutie. D’une part, elle ne permet pas de garantir un certain équilibre entre les partis politiques et certains candidats. D’autre part, elle attribue à la Cour des comptes la compétence de contrôler les comptes de campagnes en totale méconnaissance des dispositions constitutionnelles et de la loi organique fixant l’organisation, la composition, les compétences, le fonctionnement et les règles de procédure de la Cour des Comptes.
Une intervention inachevée du législateur
La Loi Organique n°001/2025 portant Code électoral en République gabonaise prévoit en ses articles un financement public et privé des campagnes des candidats. S’il faut souligner et apprécier la précision qu’elle apporte en son article 108 quant au plafonnement des dépenses des candidats au premier et au second tour, il est déplorable de constater l’insuffisance d’encadrement quant à la possibilité de bénéficier des financements privés. En effet, l’article 104 de cette Loi prévoit que tout candidat peut bénéficier des dons et legs de personnes physiques de nationalité gabonaise sans fixer un seuil ou un montant maximum. Cette situation soulève deux problèmes majeurs :
– L’insécurité juridique liée au régime des dons et legs ;
– Le déséquilibre entre les candidats.
Un nécessaire plafonnement des dons et legs
En matière de financement privé des campagnes électorales, le législateur a failli en rigueur en omettant de plafonner l’apport des personnes physiques. En effet, les dons et legs sont soumis à un régime spécifique qui fait qu’ils obéissent à des règles précises en matière de droit privé et de droit public. Les dons et legs sont soumis à des droits de mutation (droits et taxes perçus par l’Etat ou les collectivités dès qu’un bien change de propriétaire, par succession, donation etc) qui peuvent être importants. Le contrôle strict des dons et legs permet également de vérifier que les règles fiscales sont respectées, notamment en ce qui concerne les abattements et les exonérations possibles. Cela permet d’éviter les influences et les conflits d’intérêts et donc de mettre à mal le processus démocratique.
Aussi, le contrôle de ces derniers permet de prévenir la corruption et les jeux d’influence en milieu politique. Ces derniers peuvent être utilisés pour influencer les décisions politiques en créant un déséquilibre dans le jeu démocratique. Assurer un contrôle strict de ces contributions garantit l’indépendance des élus et des partis politiques et de facto diminue le risque de népotisme et de favoritisme.
Encore, en matière de moralisation de la vie politique, le plafonnement de ces contributions permettra de favoriser la transparence et la confiance des électeurs. Une telle exigence devrait s’étendre à rendre accessible à tous, les différents financements perçus par les candidats. Cela renforce le sentiment de confiance du public dans le processus politique et dans les institutions démocratiques et garantit une bonne utilisation des fonds.
Enfin, un tel encadrement, s’il permet de garantir un certain équilibre entre élus, permet surtout de maintenir une concurrence équitable entre les différentes forces politique et de préserver le pluralisme démocratique.
La garantie d’une réelle égalité entre candidats
L’absence de plafonnement des financements privés lors des campagnes électorales est l’une des causes profondes du désastre politique que le Gabon a connu depuis l’avènement du multipartisme. En effet, pendant plusieurs décennies, le Parti Démocratique Gabonais, pour ne pas le citer, a écrasé la scène politique grâce à des financements privés dont il bénéficiait. Cette situation a clairement contribué à un déséquilibre entre candidats et a favorisé la création d’un Parti-Etat. Déséquilibre qui a de facto faussé le jeu démocratique et entaché la régularité des scrutins. Dès lors, il apparaît utile de limiter les frais engagés par les partis politiques dans la campagne électorale.
L’établissement d’un plafond des dépenses privées devrait être assorti de sanctions pour en assurer le respect. L’amende demeure l’instrument le plus communément utilisé par les États démocratiques qui connaissent un certain aboutissement de ce système de financement de la vie politique. Le Gabon peut s’inspirer de différents modèles en la matière.
Mais l’on peut également envisager des peines d’emprisonnement, des sanctions financières empêchant tout remboursement ou financement public, l’obligation faite aux fraudeurs de verser le trop-perçu au Trésor Public ou une peine d’inéligibilité.
La Cour des Comptes, juge de l’usage de l’argent public
L’article 368 du Code électoral en République Gabonaise fait de la plus haute juridiction de l’Etat en matière de contrôle des finances publiques, le juge de la régularité et de la sincérité des comptes de campagnes des élections. Cette mission qui lui est attribuée semble incompatible avec les missions qui lui sont dévolues par la Constitution de la Ve République et la Loi Organique n°11/94 fixant organisation, composition, compétences, fonctionnement et règles de procédure de la Cour des comptes. En effet, la Cour des comptes veille à l’efficience, à la régularité et à l’efficacité de l’usage des fonds publics. Ainsi, elle est amenée à évaluer et certifier les comptes publics en contrôlant et en évaluant les politiques publiques. S’il faut résumer la mission juridictionnelle de la Cour des comptes, il faut retenir que la Cour juge ceux qui font usage de l’argent public. Elle veille dans ce cas à la transparence de la dépense publique.
Or, en l’espèce, les candidats à la récente élection présidentielle du 12 avril 2025 n’ont pas bénéficié de financement public ni de subvention avant et après les élections. Ils ont essentiellement financé leur campagne avec des fonds personnels. Dès lors, il semble difficile de justifier juridiquement la compétence d’une Cour dont les missions sont clairement définies par la Constitution et son texte fondateur. Le contrôle des comptes de campagne à ce titre n’est qu’une contrepartie de la participation publique aux frais de campagne. Cette participation est la condition sine qua non qui donne compétence à l’État pour effectuer un contrôle des comptes de campagne des candidats ou des partis politiques.
L’absence de financement public de la vie politique est en elle-même une violation des dispositions de l’article 49 de la loi n°016/2025 du 27 juin 2025 relative aux partis politiques en République Gabonaise. Selon les dispositions de cette loi, l’Etat participe au financement des partis politiques et les subventions aux partis politiques sont inscrites au budget de l’Etat. Il est dommage de constater qu’aucun parti politique n’a à ce jour bénéficié de ces financements.
Constatation faite, il ne faudra pas ajouter une autre illégalité à celle déjà effective, qui serait de rendre compétente une juridiction sur des matières qui sont, à ce jour, hors de son champ d’intervention. Pour que la Cour des comptes soit compétente dans le cadre du contrôle des comptes de campagne, il faut au préalable que l’Etat se montre respectueux des lois en vigueur en finançant, conformément à la Loi sur les partis politiques, les différents partis et candidats aux élections.
S’il est bon de militer pour le contrôle des dépenses liées aux campagnes électorales, il est préférable que cela se fasse selon les textes qui encadrent la vie politique. Aussi, si l’Etat n’est pas en mesure de financer la vie politique, elle peut créer comme gendarme financier une autorité de contrôle des comptes de campagnes indépendante et autonome à qui, il donnerait plein pouvoir en la matière.
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