dimanche , 6 juillet 2025
Accueil Actualité Que dit la loi en matière d’expropriation au Gabon ?
ActualitéActualité JuridiqueActualité PolitiqueDroit civilDroit PublicLibertés Fondamentales

Que dit la loi en matière d’expropriation au Gabon ?

319

La population gabonaise se réveille depuis ces dernières semaines sous les hurlements des tractopelles et d’autres engins. En effet, dans sa volonté de réduire les charges de l’Etat et de mettre en œuvre une nouvelle politique d’urbanisation, le nouveau Gouvernement gabonais a entrepris une vaste mission d’expropriation et de déguerpissement dans le Grand Libreville.

Cette opération qui met un certain nombre de quartiers de la capitale en sens dessus-dessous divise et fait l’objet de nombreuses interrogations au sein de la population. Incompréhension et tristesse contrastent avec la volonté des gouvernants qui arguent qu’il est d’utilité publique de transformer la capitale politique du pays.

Sans prétendre pouvoir apporter toutes les réponses aux opérations en cours, nous avons fait le choix d’aborder cette situation en apportant une approche juridique à la notion d’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’expropriation est un transfert forcé de la propriété de tout ou partie d’un bien immobilier, dans un but d’intérêt général et moyennant une indemnisation juste et préalable.

Elle peut porter également sur d’autres droits réels immobiliers que le droit de propriété, notamment le droit d’usufruit, les droits d’usage et d’habitation, le droit d’emphytéose et même les servitudes.

Par ailleurs, il faut distinguer l’expropriation pour cause d’utilité publique de la réquisition ou de la préemption. La réquisition de biens permet à l’administration de contraindre un particulier à lui accorder l’usage de meubles ou d’immeubles, voire la propriété de meubles, dans des hypothèses strictement énumérées par les textes et moyennant indemnisation ; il s’agit le plus souvent d’une forme de location forcée utilisable en temps de crise ou pour des situations anormales, par opposition à la vente forcée que constitue l’expropriation.

Quant au droit de préemption, il permet dans certains cas à l’administration ou à des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public, d’acquérir la propriété d’un bien lors de son aliénation, par préférence à tout acheteur (c’est le cas du récent rachat d’Assala par l’Etat gabonais). Son exercice suppose une mise en vente volontaire du bien.

Ainsi, la procédure d’expropriation est largement encadrée par les textes en vigueur au Gabon. Elle est prévue par l’article 20 de la Constitution de la Ve République, dispose que « Tout citoyen gabonais, aussi bien seul qu’en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige et sous la condition d’une juste et préalable indemnisation. »

Cette procédure d’expropriation est organisée par le législateur à travers la Loi n° 6/61 du 10 mai 1961 Réglementant l’expropriation pour cause d’utilité publique et instituant des servitudes pour l’exécution des travaux publics Modifiée par l’ordonnance n° 7/65 du 23 février 1965 et par l’ordonnance n° 2/76 du 6 janvier 1976 et la Loi N° 14/63 du 8 Mai 1963 fixant la composition du Domaine de l’Etat et les règles qui en déterminent les modes de gestion et d’aliénation.

Aussi, il faut souligner que l’expropriation pour cause d’utilité publique fait intervenir différents acteurs. Les textes désignent l’exproprié comme étant tout propriétaire d’un droit réel immobilier. Il peut s’agir aussi bien d’une personne privée que d’une personne publique, étant précisé que dans ce cas, le droit réel immobilier ne peut porter sur une dépendance du domaine public (sous réserve toutefois de l’exercice de la théorie des mutations domaniales).

 Le droit de l’expropriation attribue la qualité d’expropriant aux personnes suivantes :

  • L’Etat ;
  • Les collectivités locales ;
  • Les établissements publics nationaux ou locaux ;
  • Les personnes privées exerçant une activité d’intérêt général au premier rang desquelles les concessionnaires de service public ou de travaux publics.

Il faut toutefois noter que seul l’Etat est compétent pour donner les autorisations nécessaires à la mise en œuvre de l’expropriation.

Les bénéficiaires de l’expropriation sont les mêmes personnes que les initiateurs de l’opération citée plus haut, auxquels il convient d’ajouter toute personne privée ayant obtenu la cession du bien exproprié, à condition que ladite cession soit justifiée par des raisons d’intérêt général.

L’appréciation de l’utilité publique :

L’expropriation ne peut être prononcée que si l’utilité publique l’exige, le droit de propriété se trouvant élevé de manière corrélative au rang de droit inviolable et sacré. En effet, l’expropriation ne peut être possible que sous certaines conditions. Elle peut donc être admise lorsqu’elle tend à la constitution du domaine public ou à la construction d’un ouvrage public ; la protection des monuments historiques et des sites naturels ; de la mise en œuvre de la politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire.

Les phases de la procédure d’expropriation

Conformément aux textes en vigueurs concernant la procédure d’expropriation, elle se déroule en deux phases. Il y a une phase administrative qui précède la phase judiciaire.

La phase administrative de l’expropriation pour cause d’utilité publique se subdivise en cinq étapes successives :

  • La constitution du dossier (phase de présentation du projet par l’expropriant et la justification de son choix);
  • L’enquête préalable (concertation avec le public, débat public) ;
  • L’adoption de la déclaration d’utilité publique (affirmer l’utilité publique de l’opération d’expropriation envisagée, autoriser l’acquisition des immeubles concernés) ;
  • L’enquête parcellaire (permettre la détermination précise des biens à exproprier, des propriétaires et des ayants droit éventuels);
  • L’adoption de l’arrêté de cessibilité (arrêté qui déclare cessibles les propriétés ou parties de propriété à exproprier).

Après cette phase administrative, intervient la phase judiciaire. En effet, la phase judiciaire de l’expropriation pour cause d’utilité publique permet l’intervention du juge judiciaire. Le juge de l’expropriation est une juridiction judiciaire spécialisée. Sa mission est d’une part, prononcer le transfert de propriété, d’autre part, déterminer le montant de l’indemnité allouée à l’ancien propriétaire du bien exproprié. Il dispose ainsi d’une compétence de principe en matière de transfert de propriété et de réparation des préjudices directement causés par l’expropriation. Faute d’accord, les indemnités d’expropriation sont déterminées par le juge de l’expropriation.

Cependant, certaines hypothèses peuvent faire intervenir la compétence d’autres juges. Ainsi, en matière de réparation des dommages de travaux publics survenus sur le bien exproprié (nuisance sonores, etc.), le juge administratif retrouve une compétence pleine et entière en raison du caractère attractif de la notion de travail public.

Le juge judiciaire va donc rendre une ordonnance d’expropriation. Cette ordonnance d’expropriation a pour effet de permettre le transfert du droit de propriété, ainsi que le cas échéant, l’extinction de l’ensemble des autres droits réels ou personnels grevant l’immeuble.

Il faut une nécessaire réforme du droit de l’expropriation :

On peut tout de même s’interroger sur la pertinence des textes applicables en matière d’expropriation au Gabon. En effet, la Loi n° 6/61 du 10 mai 1961 Réglementant l’expropriation pour cause d’utilité publique et instituant des servitudes pour l’exécution des travaux publics Modifiée par l’ordonnance n° 7/65 du 23 février 1965 et par l’ordonnance n° 2/76 du 6 janvier 1976 et la Loi N° 14/63 du 8 Mai 1963 fixant la composition du Domaine de l’État et les règles qui en déterminent les modes de gestion et d’aliénation ne peuvent plus correspondre aux réalités sociologiques, démographiques, économiques et juridiques du Gabon actuel.

Il est tout de même incongru d’appliquer en 2025 au Gabon, la Loi n° 6/61 du 10 mai 1961 qui dispose dans son article 64 que « En attendant la création de la chambre administrative et de la chambre judiciaire de la Cour suprême, les attributions qui leur sont dévolues seront exercées respectivement par le président du tribunal administratif et par la Cour de cassation de la République française, cette dernière étant saisie dans les conditions prévues à la section 2 du titre II de la loi n° 47-1366 du 23 juillet 1947 modifiant l’organisation et la procédure de cette haute juridiction ». Si cet article pouvait être justifié en 1961, juste un an après les indépendances, aujourd’hui, une telle disposition peut paraître comme une injure à l’heure où la question de souveraineté est au cœur de tous les débats.

Aussi, il faut une nouvelle législation concernant la Déclaration d’utilité publique. En effet, une fois un périmètre déclaré d’utilité publique, il y a des effets juridiques qui sont produits de façon systématique. A l’encontre du propriétaire du bien dans le périmètre de l’expropriation, la déclaration l’empêche par principe d’apporter des améliorations à compter de l’adoption de la déclaration d’utilité publique. Toute amélioration serait considérée comme une tentative frauduleuse destinée à faire augmenter le montant de l’indemnité d’expropriation.

En revanche, la loi devrait permettre que, dépassé un certain délai à compter de la publication de la déclaration d’utilité publique, le propriétaire puisse mettre en demeure l’administration de procéder à l’acquisition du bien dans le délai de deux ans à compter de la demande. Le législateur devrait reconnaitre aux propriétaires du bien menacé de dépossession un droit de délaissement.

De plus, il est prévu par l’article 58 de la Loi 6/61 du 10 mai 1961 un droit de rétrocession. Ainsi, il est disposé que si « les immeubles expropriés à la suite d’une déclaration d’utilité publique ne reçoivent pas la destination prévue par cette déclaration, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de dix ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que l’expropriant ne requière une nouvelle déclaration d’utilité publique. » Pour mettre fin aux nombreuses agitations et désolations auxquelles nous assistons, il serait judicieux de revoir les délais prévus par l’article susmentionné. Un délai de cinq ans serait raisonnable pour permettre aux propriétaires de biens étant dans le périmètre à exproprier de faire valoir son droit de rétrocession.

L’absence de disposition concernant le droit de délaissement et le délai de rétrocession prévu par les textes créent une certaine insécurité juridique auprès des populations. L’Etat procède à des opérations d’expropriations et des déguerpissements plusieurs décennies plus tard, souvent après avoir dédommagé certaines familles.

2 Comentaires

  • Pour coller à l’actualité, les expulsés et les futurs expulsés n’ont pas dans la grande majorité, de titre de propriété au regard du droit gabonais, peut on parler expropriation ?
    Comment est-ce qu’on adapte le droit à la réalité du terrain. Est-ce qu’on ne peut pas intégrer en droit positif l’usucapion et baisser la possession à 20ans par exemple ?
    Autre question, est-ce qu’on peut contester la décision administrative expropriation, je parle de la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cession ?

    • Bonjour Monsieur,
      Des réponses à ces questions ont été apportées, par l’auteur, sur votre commentaire sur facebook.
      Je vous reproduis sa réponse :
      « Je pense qu’il faut distinguer la notion de déguerpissement à celle de l’expropriation qui est clairement encadrée par la loi gabonaise. Donc tous les <> ne sont pas sous le même régime juridique.
      Ensuite, même étant détenteur de titre de propriété, l’on n’est pas à l’abri d’une procédure d’expropriation. Donc en mon sens, l’usucapion n’est pas une protection en soi contre une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.
      Quant aux recours, la déclaration d’utilité publique et l’arrêté de cession, ils peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Téléchargements